La Mécanique des Solides à  l'École Centrale de Lyon : un regard vers le passé

François Sidoroff

François Sidoroff décrit l'évolution de l'enseignement et de la recherche en mécanique des solides à  l'École Centrale de Lyon des années 1960 à  nos jours. Cette période est marquée par un processus de spécialisation qui a conduit à  la mécanique des solides à  s'autonomiser et à  définir ses propres problématiques. Des transformations institutionnelles au sein de l'École ont accompagné ces évolutions.

François  Sidoroff
Professeur des universités Département d'enseignement Mécanique des Solides, Génie Mécanique, Génie Civil Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes - UMR CNRS 5513 École Centrale de Lyon 36 Avenue Guy de Collongue, 69134 Écully Cedex francois.sidoroff@ec-lyon.fr

Texte intégral

La mécanique, rue Chevreul

1 Même après son départ de l'École, la trace laissée par Pierre Lemaire resta longtemps vivace. Les cours qu'il enseignait, physique du mouvement et électrotechnique, constituaient bien alors le c?ur de la formation d'ingénieur ? on ne parlait pas encore de mécatronique mais plutôt d'électromécanique. L'heure n'était plus toutefois à  l'universalisme, et les contraintes imposées par l'expansion et la spécialisation des corps disciplinaires amenèrent naturellement à  en séparer les différents chapitres en cours autonomes, gagnant ainsi en technicité et en actualité ce qu'ils perdaient en généralité. Léon Clergue d'abord, Jean-François Brochemin et Emil Horgen ensuite orientèrent ainsi progressivement la mécanique vers la mécanique des systèmes et des vibrations tandis que la mécanique des fluides prenait, avec l'arrivée de Jean Mathieu, son essor en tant que discipline autonome.

2Les causeries au labo, véritable encyclopédie des domaines en émergence, étaient le symbole même de cet universalisme de bon aloi mais hors d'époque, et elles disparurent rapidement.

3Il faudra ensuite bien longtemps avant que ne s'arrête cette course vers toujours plus de contenu, toujours plus de matière, avant de réaliser qu'elle était perdue d'avance et que c'était en fait une fuite en avant et qu'il convenait d'inverser la tendance en privilégiant le qualitatif plutôt que le quantitatif, d'appliquer en fait à  la formation de l'ingénieur le concept de développement durable.

L'installation à  Écully

4L'installation à  Écully marque véritablement, pour la mécanique comme pour les autres disciplines, le début de l'histoire. C'est dans ce nouveau cadre, en effet, encouragée sinon imposée par la configuration des lieux avec ses bâtiments séparés sur un campus étendu, qu'est apparue naturelle la structuration de l'École au travers des disciplines. On ne parlait pas encore de départements, mais de services et parfois de laboratoires, quoique à  l'époque, en 1967, seule la mécanique des fluides ait véritablement pu se prévaloir de cet intitulé.

5Ce que l'on appelle aujourd'hui la mécanique des solides se trouvait en fait éclatée entre 4 ou 5 services :

Le Service de mécanique appliquée couvrait, sous l'impulsion de Emil Horgen et Jean-François Brochemin, la mécanique des vibrations, héritière directe d'une longue tradition qui plongeait ses racines dans les enseignements de Pierre Lemaire1.

  • 1  Louis Jézéquel, «La (...)

Le Service de technologie de construction avait en charge toute la conception mécanique, et à  cette époque où les ordinateurs n'avaient pas encore remplacé les tables à  dessin, c'était une composante importante dans la formation des centraliens, mais aussi... dans l'espace occupé : tout le second étage de l'actuel bâtiment W1.

La technologie de fabrication, et le parc de machines-outils sur lequel elle devait s'appuyer, étaient sous la responsabilité du Service de technologie des surfaces.

Le Service de génie civil pilotait l'option de 3e année, avec une forte orientation vers la mécanique des sols et la géotechnique, dont il sera traité plus en détail dans un autre article2.

  • 3  Lionel Gaudriot et Jacques Marti (...)

C'est enfin au sein du Service de métallurgie et autour de Jacques Guimbard, que les élèves ingénieurs menaient les activités de laboratoire consacrées à  la résistance des matériaux.

6Chacune de ces équipes assurait la responsabilité des divers cours de tronc commun et d'option. Toutefois les cours de mécanique générale et de résistance des matériaux s'appuyaient sur des équipes pédagogiques mixtes regroupant plusieurs sensibilités, y compris quelques représentants de la mécanique des fluides, préfigurant ainsi ce qui, bien des années plus tard, allait conduire à  l'émergence de l'Unité d'Enseignement (UE) de mécanique.

7En ce qui concerne la recherche et si le déménagement à  Écully se situait délibérément dans cette perspective, tout restait à  faire et à  structurer. A la marge de la mécanique des solides, commençait à  émerger, sous l'impulsion de Jean-Marie Georges, la tribologie, avec l'association au CNRS du Laboratoire de Technologie des Surfaces. En mécanique des vibrations comme en génie civil, par contre, la recherche restait encore pour les jeunes enseignants-chercheurs, contraints de chercher à  l'extérieur leur direction de thèse, une activité individuelle, souvent de qualité mais isolée. Quant à  la technologie, elle restait encore focalisée sur l'enseignement. Des relations industrielles existaient également et portaient en germe des promesses futures, mais qui restaient à  intégrer dans un projet scientifique cohérent. Il convient notamment de mentionner la forte symbiose avec Metravib3.

  • 4 Bernard Cambou. Approche du (...)

Le Département de mécanique des solides

8L'été 1978 allait, par la convergence de deux évènements fondateurs, marquer un jalon important et établir la mécanique des solides à  l'École.

9D'une part, l'arrivée de François Sidoroff, professeur d'université dans cette discipline, si importante dans une école d'ingénieur, mais qui restait la dernière à  l'École à  en être dépourvue. Même si le système mandarinal n'a pas dans nos disciplines le poids qu'il pouvait alors avoir ailleurs, c'était une étape essentielle pour la reconnaissance et la crédibilité de la discipline tant vis-à -vis de l'extérieur que de l'intérieur.

10D'autre part, Bernard Cambou et Louis Jézéquel soutenaient leurs thèses (d'État4 pour le premier, de docteur-ingénieur5 pour le second, mais la thèse d'État6 allait bientôt suivre) les faisant ainsi tous deux accéder au statut de chercheur adulte, capable de voler de leurs propres ailes.

  • 5 Louis Jézéquel. Synthèse de (...)
  • 6 Louis Jézéquel. Synthèse (...)
  • 7  Louis Jézéquel, «La (...)

11L'idée émergeait alors tout naturellement de fondre ces différentes composantes encore éparses en un département de mécanique des solides qui, créé à  la rentrée 1978, regroupait mécanique appliquée, génie civil et résistance des matériaux en un ensemble scientifique cohérent. Vu de l'extérieur, et notamment par les élèves, cette évolution n'eut guère ce conséquences visibles à  court terme, et fut donc sans doute davantage perçue comme une mesure administrative que comme une réforme profonde.

12La structure du programme pédagogique restait en effet organisée (figée ?) autour d'un ensemble de cours d'importance variable et indépendants les uns des autres tant dans leur déroulement que dans leur évaluation. Les débats scientifiques parfois âpres et les efforts de convergence, pour réels qu'ils furent entre les différentes équipes, n'eurent guère d'échos directs et d'implications pratiques. Ils étaient toutefois porteurs de  promesses futures qui se concrétiseraient plus tard lorsque sonnerait l'heure d'une remise à  plat du tronc commun.

13C'est donc surtout au niveau de la recherche que cette nouvelle entité allait trouver sa place et sa raison d'être : la synergie existait entre les trois équipes qui, sur des objets très différents et dans des domaines d'applications diversifiés, se retrouvaient autour d'une devise, « Comprendre pour modéliser, modéliser pour prévoir », et d'une démarche commune qui s'alimentait et s'enrichissait de la diversité même de ses déclinaisons.

14Les aspects plus spécifiques aux équipes « Vibrations » et « Génie civil » sont développés par ailleurs7 8 tandis que l'équipe « Résistance des matériaux » s'orientait dans le cadre du GRECO9 « Grandes déformations et endommagement » et du GIS10 « Mise en forme » vers la thématique « Emboutissage ».

  • 8  Bernard Cambou, Jean Costet, (...)
  • 9 Groupement de Recherches (...)
  • 10 Groupement d'Intérêt (...)
  • 11 Analyse des Structures et (...)

15D'un point de vue scientifique les verrous majeurs concernaient la plasticité en grandes déformations dans sa mise en ?uvre numérique d'abord, puis ensuite dans sa description de l'anisotropie. C'est en particulier dans notre petite salle du bâtiment de génie civil que furent établies lors d'une homérique discussion de 3 jours avec Gilbert Touzot, les bases théoriques de l'implémentation des grandes déformations plastiques dans MEF, premier logiciel français à  les traiter correctement. Quant au secrétaire de séance, Pascal Mialon (promotion 1979, à  l'époque jeune thèsard), il est depuis devenu l'un des responsables du développement du Code ASTER11. Bon sang ne peut mentir.

  • 12 Laboratoire d'Électronique, (...)

16D'un point de vue industriel, l'automobile et la sidérurgie lançaient rapidement un ambitieux programme visant à  la simulation numérique de l'emboutissage dans lequel le laboratoire s'impliqua fortement pour la construction et l'identification de modèles de comportement anisotropes en relation avec le développement des outils de calcul et la modélisation du contact métal-outil.

17En parallèle, l'équipe développa également, en collaboration étroite avec le département Métallurgie-matériaux, un axe de recherche sur les matériaux composites et sur la caractérisation et la compréhension du comportement à  la fatigue des composites unidirectionnels, notamment avec le développement de la machine Epsiflex. Léo Vincent, porteur de cette thématique, fut d'ailleurs l'espace de quelques années rattaché au département Mécanique des solides avant de retourner prendre la direction du département Matériaux.

18D'un point de vue plus institutionnel, il convient également de signaler l'engagement fort du laboratoire dans la communauté, puisque François Sidoroff assura de 1984 à  1988 la direction du GRECO Grandes déformations et endommagement, puis la première présidence du groupement Mecamat qui lui succèda, tandis que, de son côté, Bernard Cambou jouait également un rôle important au sein du  GRECO Géomatériaux.

Le Département CDPI

19Alors que, construit autour de la thématique scientifique « mécanique des solides », le département Mécanique des solides assumait sa double mission d'enseignement et de recherche et affirmait son existence en tant que laboratoire, la technologie restait encore en dehors de cette évolution : les choses n'étaient pas encore mûres.

20La technologie de fabrication restait rattachée au département de technologie des surfaces avec une implication pédagogique à  dominante de TP tandis que le département de technologie de construction, rapidement rebaptisé CDPI (Conception et Développement de Produits Industriels), allait vivre une transition majeure avec le passage de la table à  dessin à  l'ordinateur.

21C'était l'époque où l'on commençait à  parler de CAO (Conception Assistée par Ordinateur), bien qu'au début cette terminologie ait été un peu optimiste : la terminologie DAO (D pour Dessin), moins ambitieuse, était souvent plus fidèle. Dans les bureaux d'études, comme en bien d'autres lieux, les progrès de l'informatique entraînaient un bouleversement matériel et plus encore intellectuel, lesquels induisaient à  leur tour une remise en cause majeure de l'enseignement de la technologie.

22Du point de vue matériel, la transition fut, à  l'École, menée assez rapidement, puisque les nouveaux outils étaient à  peu prés opérationnels et accessibles aux élèves dès la rentrée 1981 (ordinateur central Prime situé en dehors de l'École, et huit terminaux Secapa et Tektronix qui se partageaient 2 lignes spécialisées à  9600 bauds !). D'un point de vue intellectuel, beaucoup restait à  faire et c'était bien d'une remise en cause complète de l'enseignement de la technologie qu'il s'agissait, dans ses méthodes comme dans ses objectifs.

23Les outils disponibles alors ? Gri2D pour le dessin 2D et Euclid pour la modélisation 3D ? étaient encore très rudimentaires par rapport à  ceux d'aujourd'hui. Cependant, rapidement, Euclid (son créateur initial, Jean-Marc Brun, directeur scientifique de Matra-Datavision, entretenait depuis 1978 des relations privilégiées avec l'École) s'est imposé par ses qualités de modeleur géométrique, prenant en charge bien des tâches fastidieuses, banales pour le technicien expérimenté mais fortement pénalisantes pour le débutant, et a libéré l'esprit pour le vrai travail de conception, créatif et imaginatif.

24Voilà  qui ouvrait, pour les enseignants, des perspectives exaltantes mais difficiles car particulièrement rétives à  un enseignement magistral ou académique. Si l'on rajoute à  cela le niveau très disparate des élèves à  l'entrée, on comprend bien la difficulté d'un enseignement de tronc commun en école généraliste. Fortement impliqué dans l'enseignement, s'appuyant sur des enseignants de statut second degré et centré sur un corpus scientifique encore mal reconnu du monde universitaire, le département CDPI s'attachait à  développer, plutôt qu'une recherche académique traditionnelle, un solide réseau de relations industrielles.

25C'est en partant des besoins qu'exprimait ce réseau que démarra, vers le milieu des années 80, une nouvelle aventure : Paul Clozel, le jeune agrégé recruté pour lancer à  l'École l'activité CAO, jetait les bases d'un logiciel d'analyse statique qui allait devenir Mecamaster et est aujourd'hui, 20 ans plus tard, notamment implanté dans CatiaV5 et largement utilisé pour l'analyse statique et cinématique et le tolérancement des ensembles mécaniques.

Les années de transition

26Peu avant 1990, commença pour l'École une période marquée par toute une série de changements qui allaient profondément modifier son organisation et son programme pédagogique pour leur donner leur allure actuelle. L'un des aspects particulièrement marquants de cette période est sans doute le fait que, pour la première fois depuis longtemps, l'École avec toutes ses composantes se lança dans une réflexion collective sur ce qu'elle était, ce qu'était un centralien de Lyon, et quelle devait être sa formation.

27Cette réflexion n'était bien évidemment pas nouvelle en soi et chaque équipe pédagogique, chaque département la menait régulièrement à  son niveau pour faire évoluer son organisation interne et son enseignement pour s'adapter au mieux à  l'évolution de sa discipline et des besoins industriels en matière de formation et de recherche. Ce qui était nouveau en fait, c'était cette appropriation collective et la prise de conscience du formidable défi qu'était la formation d'un ingénieur généraliste dans un monde complexe et un univers de connaissance en perpétuelle expansion.

28Le premier chantier fut ouvert sur l'enseignement de la technologie, une composante sans doute plus importante à  l'École que dans bien d'autres établissements et sur laquelle l'opinion des élèves restait très contrastée, de l'enthousiasme affirmé au refus caractérisé. On touchait là , en fait, la difficulté de l'enseignement de masse qu'est le tronc commun. Autant il était facile d'intéresser des élèves déjà  sensibilisés, autant il s'avérait difficile de motiver toute une promotion sur une approche souvent nouvelle pour eux et parfois associée, venant des classes préparatoires, à  une image complètement fausse. Ce n'était pas un rejet de principe de la technologie, à  preuve le succès jamais démenti du TP moteur, dans lequel chaque groupe d'élèves devait démonter puis remonter un moteur de voiture, mais force était bien de constater que, malgré l'introduction des outils informatiques qui avaient quelque peu facilité les choses, l'enseignement de la technologie restait ressenti de façon mitigée.

29Nouvelle était par contre la prise de conscience du fait que cela n'était pas le problème d'une équipe pédagogique, mais concernait au contraire l'ensemble de l'École puisque ce qui était en cause, c'était bien le rapports des élèves que nous formions aux objets techniques. Il s'agissait donc bien là  d'un enjeu majeur, et cela nous était confirmé par nos partenaires industriels pour lesquels cet aspect de la formation était une composante nécessaire et appréciée du centralien de Lyon.

30A l'instigation d'Auguste Moiroux, fut donc amorcée une vaste réflexion réunissant toutes les composantes scientifiques de l'École afin d'élaborer, au delà  des spécificités disciplinaires, une stratégie cohérente pour la formation technologique du centralien. Même si, pour des raisons peut-être historiques, la mécanique se trouvait la plus directement concernée, existaient dans l'École une convergence de vue et une communauté de pensée sur les objectifs de cette formation et la nécessité de compléter le bagage conceptuel de nos élèves par une connaissance des objets techniques, de leur conception et de leur fabrication, et sur le fait que, si divers que puissent être ces objets, les méthodologies sous-jacentes reposaient sur un large socle commun.

31C'est sur ce socle que devait s'appuyer la formation aux diverses technologies, les objets particuliers n'intervenant en fait que comme support. Objets du monde réel toutefois car après un long débat il fut décidé que, bien que certaines analogies existent, les logiciels, objets du monde virtuel, ressortaient d'une démarche différente.

32Cette réflexion, pour importante qu'elle ait été, car elle prouvait à  la fois la nécessité et la possibilité d'une réflexion pédagogique transversale, n'était toutefois qu'un préambule à  une remise en cause beaucoup plus profonde. Lorsque Jacques Bordet arriva à  l'École en 1988, le premier chantier qu'il lança fut une réforme complète du tronc commun, dont on réalisa soudain que nul dans l'École n'était en état de dater précisément l'origine. Certes le programme pédagogique évoluait régulièrement à  la fois par modification des contenus à  l'initiative des équipes pédagogiques et par adjonction de nouveaux enseignements au fur et à  mesure de l'apparition de nouveaux mondes dans l'univers de l'ingénieur, mais il en résultait un ensemble très lourd et sans cohérence profonde.

33Ce n'est pas le lieu ici de décrire cette réforme qui inaugurait en fait une démarche d'évolution constante du programme pédagogique, par réformes ou évolutions plus ou moins importantes, pour cerner au mieux l'évolution des techniques et des besoins des entreprises et de la société et pour améliorer constamment la qualité de la formation de l'ingénieur centralien et son adaptabilité à  un monde mouvant et complexe. Il suffit de rappeler que les mécaniciens de l'École, fluides et solides réunis, se retrouvaient au sein de l'UE mécanique énergétique, la plus importantes des 4 unités d'enseignement scientifiques qui structuraient la formation, avec la lourde tâche de reconstruire l'enseignement de notre discipline dans ses diverses composantes.

34C'est notamment dans le cadre de cette réforme que fut créé le cours de mécanique des milieux continus, module de base en première année, assuré par une équipe pédagogique mixte regroupant mécaniciens des fluides et des solides, et qui engendra  de nombreuses discussions, parfois serrées voire houleuses mais toujours passionnantes. C'est également de cette époque que datent les modules d'approfondissement permettant aux élèves en fin de première et seconde année d'appliquer dans un domaine de leur choix, de l'acoustique à  la mécanique des matériaux et de la mécanique des sols aux machines, les concepts généraux vus dans les modules de base. Pour compléter l'UE, les modules de transfert couvraient à  la fois la formation technologique et les manipulations expérimentales, toujours considérées comme nécessaires malgré leur coût.

35A peu près en parallèle, se constituait l'Intergroupe des Écoles Centrales et qu'émergeait la notion d'ingénieur centralien, à  partir de la constatation que, au delà  des différences locales souvent conditionnées par l'histoire et la tradition, existait bien une spécificité centralienne, et que bien évidemment la mécanique y jouait, avec le génie électrique, un rôle fondateur.

Nouvelles Structures

36Cette période, typiquement 1988-1990, fut donc marquée par une intense activité au niveau pédagogique, mais les convergences et les rapprochements qui se produisirent alors ne pouvait pas être sans conséquences sur les autres plans, et notamment dans le domaine de la recherche. Le laboratoire de Mécanique des solides avait poursuivi son évolution, et constituait maintenant une entité scientifiquement crédible malgré par sa petite taille mais grâce aux relations fortes que ses trois équipes avaient pu constituer au sein des réseaux qui structuraient la communauté.

37Cette petite taille restait toutefois un obstacle majeur pour la reconnaissance par le CNRS et nos demandes réitérées s'étaient immanquablement soldées par un avis sympathique mais suggérant un rapprochement avec d'autres unités déjà  existantes sur l'École. Après une assez longue réflexion, tant entre nous qu'au sein de l'École, il apparut clairement que c'est avec le Laboratoire de Technologie des Surfaces (LTS) que devait s'effectuer le rapprochement. Avec le recul, cela apparaît sans doute tout à  fait évident mais il nous avait fallu longtemps pour découvrir cette évidence.

38Un des premiers résultats de ce rapprochement fut la réalisation d'un remake du célèbre film pédagogique mettant en évidence l'analogie entre un lit de bulles de savon et un matériau cristallin ou amorphe. Dans l'optique du laboratoire, il permit une première confrontation entre la tribologie et les matériaux granulaires. On doit également  noter que là  se trouve aussi, sans doute, l'origine de l'engagement fort du laboratoire dans La main à  la pâte.

39En parallèle, les activités développées au laboratoire de Technologie des surfaces par Jean Sabot, qui avait justement été recruté pour y apporter cette composante dynamique et traitement du signal, se situaient en bonne complémentarité avec les axes propres de l'équipe Dynamique.

40C'est donc en 1990 que fût créé, sous la direction de Jean-Marie Georges, le Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes (LTDS), élargissant l'Unité de Recherche Associée, Laboratoire de Technologie des Surfaces, en lui adjoignant notre Laboratoire de Mécanique des Solides ainsi qu'une équipe plus physicienne, sise autour de l'École Nationale d'Ingénieurs de Saint-Étienne, préservant ainsi l'équilibre pluridisciplinaire mécanique-physique-chimie qui était l'une des spécificités du LTS.

41D'un point de vue thématique, l'ensemble s'articulait autour de 3 thèmes : tribologie, dynamique des structures, bien sûr, mais aussi le thème II : matériaux et surfaces hétérogènes qui visait à  valoriser la synergie entre tribologie, milieux granulaires et mécanique des matériaux et dont la devise était « De l'angstrà¶m au mètre ».

42C'est également de cette époque que date la création de l'Institut Européen de Tribologie concrétisant au niveau français la coopération entre le LTDS et le Laboratoire de Mécanique des Contacts de l'INSA et, au niveau international, la qualité des relations avec nos collègues britanniques de l'université de Leeds et de l'Imperial College.

43Peu de temps après s'ouvrait un nouveau chantier : la restructuration de l'École en 6 départements, et c'est sans doute autour de la mécanique au sens large que se focalisèrent l'ensemble des problèmes et débats. Il fallait en effet prendre en compte d'une part la place importante qu'occupait la mécanique, ce qui rendait complètement disproportionné un éventuel département de mécanique regroupant fluides et solides, et d'autre part l'interaction très forte à  l'École entre mécanique et matériaux, ce qui plaidait fortement contre une éventuelle séparation.

44La logique des nombres et le nécessaire équilibre entre les départements imposèrent néanmoins cette séparation et c'est ainsi que fut créé le département MSGMGC, Mécanique des Solides, Génie Mécanique et Génie Civil. Au moins cette solution eut-elle l'avantage de réunifier mécanique et  technologie mécanique puisque les deux équipes technologiques (conception mécanique et fabrication-mécanique) se trouvaient enfin rattachées au c?ur de la discipline.

Un long fleuve tranquille

45C'est donc ainsi, dans cette nouvelle configuration, regroupés en un département homogène et intégrés dans un puissant laboratoire pluridisciplinaire que les mécaniciens des solides allaient aborder la fin des années 90 et le troisième millénaire.

46En ce qui concerne la recherche, les deux équipes D2S (Dynamique des Structures et des Systèmes) et MSG (Mécanique des Solides et Géomatériaux) étaient maintenant lancées sur de bons rails et poursuivaient leur développement : à  côté de l'approfondissement des thématiques génie civil et matériaux granulaires, l'équipe MSG abordait de nouveaux problèmes notamment sur la mécanique des couches minces en liaison étroite avec les autres équipes du LTDS et également avec le LEOM12 pour les applications à  la microélectronique et à  l'optoélectronique. Signalons aussi une collaboration avec la géophysique et la mécanique des fluides à  propos de la mécanique de la croûte terrestre, élargissant du même coup notre spectre de 10-9 à  105 m.

47En ce qui concerne la pédagogie, la réflexion mise en marche en 1988 ne s'était plus arrêtée et l'École avait initié une démarche de remise en cause qui se poursuit régulièrement et qui se traduit par une évolution permanente, combinée à  des réformes de structure régulières, parfois même un peu trop fréquentes aux yeux de certains. Le département MSGMGC était maintenant organisé en trois équipes d'enseignement, Dynamique des structures, Mécanique des solides et génie civil, et Technologie mécanique, cette dernière combinant à  l'heure de la conception intégrée, conception et fabrication. Il joua évidemment un rôle moteur dans la conception et la réalisation de toutes ces réformes.

48Ce fut d'abord la réforme de la troisième année avec ses 15 options, le département étant maître d'?uvre pour 3 d'entre elles, « Génie civil et environnement », « Transports terrestres » et « Ingénierie mécanique et nouvelles technologies », et fortement impliqué notamment en « Matériaux-surfaces : clé de l'innovation », « Physique et applications » et « Génie industriel ».

49Il y eut ensuite la nouvelle réforme du tronc commun dans laquelle l'unité d'enseignement Mécanique énergétique après une vaste introspection sur ses attendus et objectifs, introduisit nombre de modifications et d'innovations pédagogiques.

50Tout d'abord il fut décidé d'abandonner le cours de mécanique des milieux continus (MMC) : chacun sait que la pédagogie est un perpétuel recommencement et il a été considéré qu'après plus de 10 ans de fonctionnement commun, les points de vue étaient suffisamment cohérents pour pouvoir sans dommage revenir à  des approches séquentielle : mécanique des solides puis mécanique des fluides en première comme en seconde année.

51En fait, il était apparu essentiel d'affirmer l'unité de la discipline, non plus a priori, c'était en fait le rôle de ce cours de MMC, mais a posteriori en concluant l'UE par une synthèse finale constituée par deux cours de deux heures présentant le premier une synthèse scientifique et le second assuré par un intervenant industriel de haut niveau, une synthèse applicative. Un projet de synthèse de 16 heures permet également aux élèves de mobiliser les connaissances acquises sur un thème proposé par au moins deux des trois composantes de l'UE mécanique des solides, mécanique des fluides et technologie (c'est là  l'une des clauses du cahier des charges). On retrouvait aussi, étendu au contrôle des connaissances, cette volonté de synthèse par l'intermédiaire d'un examen final de l'UE, ainsi qu'en 1ère année, un test final et une interrogation orale sur les TP.

52Puis enfin, dernier épisode en date, la nouvelle réforme de la 3e année, avec introduction des options et des métiers, qui a démarré à  la rentrée 2006. Dans cette optique transdisciplinaire, puisque centrée sur les domaines d'activité industriels, la mécanique des solides a, comme les autres disciplines, joué son rôle, mais il est encore tôt pour tenter d'en dresser le bilan.

Et maintenant ?

53Il serait évidemment très présomptueux et bien naïf de prétendre dégager ne serait-ce que les grandes lignes du développement et des évolutions futures de notre discipline. Tout au plus peut-on sans grand risque prévoir que la mécanique des solides, comme d'ailleurs les autres disciplines scientifiques de base, restera un des piliers de l'enseignement et de la recherche à  l'École Centrale de Lyon.

54S'il faut malgré tout se hasarder à  baliser quelques pistes, on peut sans doute évoquer :

La maîtrise des risques, une démarche que le génie civil s'est déjà  largement approprié mais qui est appelé à  se diffuser à  toutes les branches de l'activité humaine,

Une intégration de plus en plus profonde des démarches de conception et de fabrication, et où le calcul complètera et remplacera parfois l'expérience des hommes et l'expérimentation elle-même

Une optimisation toujours plus poussée des objets et des processus, conciliant des objectifs d'économie et de durabilité et participant par là  même au développement durable.

55La mécanique des solides est une discipline souvent peu visible du grand public, et de cela il faut se réjouir car c'est trop souvent par des catastrophes ou des accidents qu'elle rappelle à  l'ordre ceux qui pourraient être tenté de sous-estimer son importance. Cette heureuse discrétion traduit en fait la grande maîtrise de nos ingénieurs : Ariane, Airbus, le TGV, le viaduc de Millau autant de réalisations où la mécanique des solides a joué un rôle de premier plan, mais à  côté de ces chefs-d'?uvre techniques n'oublions pas qu'elle est aussi omniprésente dans notre vie de tous les jours, ange gardien ou divinité tutélaire veillant sur notre sécurité et notre confort.

Notes

1  Louis Jézéquel, «La mécanique des vibrations à  l'École Centrale de Lyon», [En ligne], Mémoire de l'École de Centrale de Lyon, Enseignement et Recherche en Sciences pour l'Ingénieur, mis à  jour le : 05/11/2008, URL : https://histoire.ec-lyon.fr/index.php?id=964.

2  Bernard Cambou, Jean Costet, Guy Sanglerat et Éric Vincens , «La mécanique des sols et le génie civil à  l'École Centrale de Lyon», [En ligne], Enseignement et Recherche en Sciences pour l'Ingénieur, Mémoire de l'École de Centrale de Lyon, mis à  jour le : 30/10/2008, URL : https://histoire.ec-lyon.fr/index.php?id=551.

3  Lionel Gaudriot et Jacques Martinat , «La valorisation de la recherche à  l'École Centrale : historique et exemple de Metravib», [En ligne], Mémoire de l'École de Centrale de Lyon, 150 ans d'histoire d'une institution, mis à  jour le : 05/11/2008, URL : https://histoire.ec-lyon.fr/index.php?id=987.

4 Bernard Cambou. Approche du comportement d'un sol considéré comme un milieu non continu. Thèse d'État, université Lyon 1, 1979, 299 p.

5 Louis Jézéquel. Synthèse de l'amortissement par sous-structuration expérimentale. Thèse de docteur-ingénieur, université Lyon 1, 1978, 248 p.

6 Louis Jézéquel. Synthèse modale : Théorie et extensions. Thèse d'État sous la direction de François Sidoroff, université Lyon 1, 1985, 346 p.

7  Louis Jézéquel, «La mécanique des vibrations à  l'École Centrale de Lyon», [En ligne], Mémoire de l'École de Centrale de Lyon, Enseignement et Recherche en Sciences pour l'Ingénieur, mis à  jour le : 05/11/2008, URL : https://histoire.ec-lyon.fr/index.php?id=964.

8  Bernard Cambou, Jean Costet, Guy Sanglerat et Éric Vincens , «La mécanique des sols et le génie civil à  l'École Centrale de Lyon», [En ligne], Enseignement et Recherche en Sciences pour l'Ingénieur, Mémoire de l'École de Centrale de Lyon, mis à  jour le : 30/10/2008, URL : https://histoire.ec-lyon.fr/index.php?id=551.

9 Groupement de Recherches COordonnées

10 Groupement d'Intérêt Scientifique.

11 Analyse des Structures et Thermo-mécanique pour des Études et des Recherches

12 Laboratoire d'Électronique, Optoélectronique et Microsystèmes. Il a été intégré, en 2007, à  l'Institut des Nanotechnologies de Lyon

Pour citer ce document

François Sidoroff, «La Mécanique des Solides à  l'École Centrale de Lyon : un regard vers le passé», Histoire de l'École Centrale de Lyon [En ligne], Mémoire de l'École Centrale de Lyon, Enseignement et Recherche en Sciences pour l'Ingénieur, mis à jour le : 01/12/2008, URL : http://histoire.ec-lyon.fr:443/index.php?id=856.