Chronique des années 1980 à  1984 au laboratoire de machines thermiques

Xavier Lys

Ce texte évoque quelques aspects de l'activité du laboratoire de machines thermiques de l'École  Centrale de Lyon, en liaison avec le contexte "recherche moteurs" de l'automobile et du véhicule industriel, dans les années 1980 à  1984.
On y a travaillé en particulier à  la compréhension et à  l'analyse de la combustion en moteur Diesel à  injection directe, dans une conjoncture désormais exigeante en matière d'émissions et de rendement.
Ces travaux sont intervenus dans une tradition déjà  établie au laboratoire sur l'étude de la combustion en moteur Diesel, par analyse du comportement des jets de combustible au sein de mouvements d'air caractéristiques d'une chambre de combustion de moteur Diesel.
Le Centre de Recherches en Machines Thermiques, société agissant en synergie avec le laboratoire et gérant les contrats industriels, a permis la mise en œuvre de supports expérimentaux spécifiques, tels que la visualisation de la combustion sur moteur par cinématographie ultra-rapide.
En conjonction avec les travaux menés sur l'aérodynamique interne au Laboratoire de Mécanique des Fluides et d'Acoustique, la compréhension  de ces phénomènes a contribué à  ouvrir la voie aux premières modélisations avancées.

Xavier  Lys
Professeur associé de l'Ecole Centrale de Lyon de 1980 à  1984 Renault VI www.renault-trucks.com xavier.lys@wanadoo.fr

Texte intégral

Avant-propos

1 Quelques vingt trois ans après avoir quitté le laboratoire de machines thermiques, il me faut interroger une mémoire qui n'est plus d'une fidélité absolue mais qui laisse ainsi émerger quelques souvenirs caractéristiques de cette période. Que les uns ou les autres avec qui j'ai partagé ces quelques années veuillent bien me pardonner mes oublis éventuels !

Le contexte université-industrie des années 80

2Auguste Moiroux, fondateur du laboratoire, avait alors la responsabilité de l'ECL1 et avait toujours voulu favoriser les liens avec l'industrie, en l'occurrence celle de l'automobile et des moteurs. Antérieurement, il avait en particulier été l'un des concepteurs des groupes générateurs à  pistons libres de la société Sigma et il gardait un intérêt toujours marqué pour cette technologie.

3Au sein de l'école, des sociétés habilitées à  gérer des contrats de recherche avec l'industrie avaient été créées pour étendre le champ d'action des laboratoires. Dans le cas du laboratoire de machines thermiques, le CRMT2 assumait cette fonction, permettant de développer des innovations, notamment autour de la technologie générateurs à  pistons libres, mais aussi de gérer des contrats de recherche avec l'industrie.

  • 2 Centre de Recherche en Machines (...)

4Ce dispositif permettait entre autres de mettre en œuvre des moyens d'essais tels que des bancs d'essais moteurs pour concrétiser et valider les concepts ou travailler dans des conditions proches des réalisations industrielles. Ceci permettait de travailler simultanément sur des sujets plus fondamentaux en les mettant dans une perspective d'application industrielle. C'est ainsi que ce laboratoire avait développé une compétence spécifique en combustion diesel notamment au travers d'une meilleure caractérisation de la mécanique des jets.

5On peut ainsi considérer que la démarche recherche s'apparentait un peu à  une approche de type mechanical engineering telle que pratiquée dans les pays anglo‑saxons, dans la mesure où la prise en compte de l'environnement moteur était toujours en arrière plan des travaux du laboratoire.

6Simultanément et depuis les années 1970, les constructeurs automobiles français avaient restructuré leurs activités de recherche en créant, côté Renault, la Dast 3, et du côté PSA4 la Drast 5. La mise en place de ces entités s'est alors accompagnée d'une ouverture vers la recherche universitaire dans de nombreux domaines dont celui des moteurs, et les laboratoires de machines thermiques et de mécanique des fluides et d'acoustique furent alors directement concernés via leurs interfaces respectives.

  • 3 Direction des Affaires (...)
  • 4 Peugeot Société Anonyme
  • 5 Direction de la Recherche et des (...)

7L'enjeu émissions‑consommation représentait un challenge considérable et de longue haleine qui nécessitait de s'appuyer sur un tissus de compétences au niveau national. Une structure coopérative du nom de Groupement scientifique moteurs, animée par l'IFP6, fut ainsi mise en place au sein de laquelle le savoir‑faire et les moyens de ces deux laboratoires furent également sollicités.

  • 6 Institut Français du Pétrole

8Dans la dynamique de cette démarche, Auguste Moiroux avait souhaité utiliser la possibilité de détachement temporaire d'un représentant industriel pour croiser les expériences et renforcer les liens. Sous statut d'enseignant associé il devait participer aux missions du laboratoire et à  la vie de l'école.

9Ayant déjà  une expertise en combustion diesel, et acteur de la Drast, le Dr Iqbal M. Khan fut le premier à  inaugurer ce dispositif en prenant la responsabilité du laboratoire. Il décéda accidentellement au cours d'un déplacement, après avoir mis en place la fonction et les liens associés. Je fus appelé en octobre 1980 à  prendre son relais pour quatre années. Je gardais un rattachement à  la Dast de Renault, en association avec Marcel Bidault, lui même plus particulièrement en liaison avec le contexte du moteur de véhicule industriel sur le site de Lyon.

La thématique technique et scientifique

Le moteur diesel et l'injection directe

10L'une des préoccupations essentielles de cette période était d'accéder à  un moteur diesel à  la fois peu polluant et économe.

11Le moteur diesel de véhicule industriel avait ouvert la voie à  explorer en mettant en œuvre, depuis plusieurs années déjà  à  cette époque, la technologie du moteur à  injection directe suralimenté. La dimension des chambres de combustion, les régimes de rotation moteur relativement modérés et la suralimentation, associés à  des systèmes d'injection déjà  sophistiqués permettaient de maîtriser industriellement cette technologie sur les camions. Cependant le sujet restait pleinement à  l'ordre du jour car les normes d'émissions de plus en plus contraignantes allaient exiger de nouvelles évolutions techniques.

12Le moteur diesel de voiture particulière ou de véhicule léger était alors principalement axé sur la technologie du moteur à  préchambre de combustion, relativement peu exigeante en matériel d'injection de carburant, mais encore handicapée sur le plan de l'amélioration du rendement.

13Dès lors il fallait envisager la possibilité de réaliser un moteur diesel à  injection directe destiné au véhicule particulier, c'est à  dire de petite dimension de chambre de combustion, capable de fonctionner à  des régimes de rotation relativement élevés. Déjà  la suralimentation apparaissait obligatoire, mais la bonne maîtrise du mélange air‑combustible et sa combustion supposait une connaissance approfondie du comportement des jets de combustible au sein de mouvements d'air très turbulents mais globalement organisés, en milieu très confiné.

14La démarche imposait deux cheminements parallèles, dont Alain Haupais fut le maître d'œuvre en y associant la connaissance et la prise en compte du contexte moteur via :

- un cheminement expérimental, permettant de visualiser les processus de mélange et de combustion réalisés par l'injection de combustible dans une charge d'air aux mouvements complexes, dans des conditions représentatives de celles du moteur réel;

- un cheminement de modélisation permettant de formaliser ces observations sous forme d'outils de prédiction et d'aide à  la conception des systèmes injection‑chambres de combustion.

Visualisation

15La visualisation s'est d'abord faite sur des montages de « similitude » hydraulique utilisant l'injection de liquide dans du liquide et déterminant les grandeurs utiles à  la caractérisation des jets en mélange, dans un milieu d'abord immobile, puis créant des mouvements de déviation, puis introduisant des contraintes de confinement par une paroi.
Mais la capacité des équipes du laboratoire a permis de gérer des mesures en conditions moteur réelles.

16En premier lieu des mesures furent réalisées sur petit moteur mono‑cylindre avec une culasse équipée d'une chambre de combustion à  hublots permettant de visualiser un jet unique, incluant sa combustion par auto‑inflammation. Cette étape fut possible par la maîtrise de moyens de cinématographie rapide et de moyens d'acquisition électroniques associés.

17La coopération avec Renault VI7 permit ultérieurement de mettre à  la disposition du CRMT un moteur mono‑cylindre à  injection directe, représentatif d'une version industrielle multi‑cylindres.

  • 7 Renault Véhicules Industriels

Figure 1 : Moteur mono‑cylindre au banc d'essais (Crédit photo : CRMT)

18Il fallut réaliser un accès optique via un piston « transparent » et une culasse "miroir" tout en conservant des conditions de fonctionnement réalistes.

Figure 2 : Réalisation de l'accès optique sur moteur mono‑cylindre (Crédit photo CRMT)

19Là  encore, la maîtrise de l'imagerie rapide sur moteur permit d'obtenir des visualisations réalistes du comportement d'injections multi‑jets en mélange et combustion, soumises à  des mouvements d'air représentatifs.

Figure 3 : Cinématographie rapide de l'injection et de la combustion (Crédit photo CRMT)

20Dans la même démarche de coopération avec l'industrie automobile, Renault VI avait mis à  la disposition de la société Métraflu, associée au Laboratoire de mécanique des fluides et d'acoustique, un moteur mono‑cylindre identique, à  culasse équipée d'un hublot pour caractériser les mouvements d'air réels en anémométrie doppler laser.

21La connaissance approfondie et la caractérisation des mouvements d'air et de la turbulence dans un tel moteur constituait un sujet d'importance déterminante pour le développement des modélisations.

Modélisation

22La démarche de modélisation s'est développée, d'abord de façon phénoménologique, c'est à  dire en acceptant des coefficients liés au contexte spécifique étudié. Ceci permettait ensuite de décrire la réponse du milieu aux effets des paramètres d'action, dans un contexte semblable. Ces logiciels relativement légers dans leur mise en œuvre et tributaires d'hypothèses très spécifiques se sont avérés très utiles, surtout comme support de première étude d'une chambre de combustion ou de diagnostic.

23Beaucoup plus complexe de mise en œuvre et à  visée plus long terme la modélisation numérique « directe » a aussi connu un premier développement à  cette même époque, autour du comportement des jets, de leur mélange avec l'air admis et de leur combustion.

24La notion de modélisation directe implique une description, à  chaque instant du cycle, des champs moyens et turbulents, sur la base d'une résolution numérique des équations dans le domaine géométrique étudié. La démarche est donc d'une grande ambition sur le plan théorique et en moyens de calcul.

25La mesure et la modélisation avancées des mouvements d'air turbulents dans les conditions d'un moteur relevaient naturellement de la compétence du Laboratoire de mécanique des fluides et d'acoustique. Les acteurs qui travaillaient sur cette modélisation directe y avaient initié leurs premiers travaux et pouvaient ainsi bénéficier de cette proximité.

26La prise en compte de la modélisation numérique directe, déjà  bien lancée du côté aéronautique, en était encore à  ses tous débuts du côté des moteurs à  combustion interne. Même si à  cette époque on s'interrogeait encore du côté industriel sur le réalisme de cette démarche, ces premiers travaux ont permis de l'introduire dans la culture de développement des moteurs.

27Aujourd'hui ces outils numériques qui ont fortement progressé en caractère prédictif et en mise en œuvre opérationnelle, font désormais partie de la panoplie des entreprises. Mais le chemin parcouru en ce domaine a nécessité un développement des travaux à  un niveau coopératif, y compris à  une échelle internationale, compte tenu des moyens à  mettre en œuvre.

28En considérant la synthèse technique que représente un moteur, beaucoup de choses furent facilitées par une bonne synergie entre le contexte strictement laboratoire et le contexte CRMT.

29A côté de ce qui a été évoqué, Il faut aussi mentionner, entre autres, les travaux de développement des générateurs­compresseurs à  pistons libres, ou encore les essais de moteurs à  gaz pauvre, menés par le CRMT et qui témoignaient de son savoir-faire au service d'autres questions dans le domaine des moteurs thermiques.

En guise de conclusion

30Les premiers résultats obtenus pour les moteurs diesel d'automobile à  injection directe avaient bien démontré leur faisabilité et leur intérêt, notamment sur le plan consommation.

31Mais en fonction des performances des technologies d'injection disponibles ils ne se démarquaient pas encore suffisamment des moteurs à  préchambre sur le plan du contrôle des émissions ou du bruit, pour justifier leur adoption rapide.

32A la même époque une nouvelle technologie d'injection à  haute pression et à  commande électronique, dite à  common rail, était expérimentée par J.P. Jourde et son équipe injection de la Dast chez Renault VI. Elle anticipait déjà  ce qui est aujourd'hui utilisé à  des millions d'exemplaires tant dans le domaine du poids lourd que dans celui du véhicule particulier.

33La disponibilité industrielle de systèmes d'injection capables de hautes pressions et pilotables électroniquement, associée à  celle de turbocompresseurs adaptés, permet aujourd'hui de disposer de moteurs Diesel à  injection directe capables de concilier performances, consommation, bruit et émissions contrôlés.

34Le moteur à  combustion interne est un objet de synthèse qui associe beaucoup de thèmes scientifiques. Autour d'une telle entité beaucoup de choix sont ouverts en matière de recherche. Il est souvent difficile de traiter une question de manière isolée et il est souvent nécessaire d'avoir par ailleurs une « culture moteur » pour les aborder dans les conditions d'un dialogue constructif avec les industriels. C'est peut‑être cela qui avait guidé la vision d'un Laboratoire de machines thermiques par Auguste Moiroux. C'est en même temps une ambition difficile dans la mesure où elle implique au fil du temps une association croissante de compétences diversifiées et de moyens matériels importants.

35Ayant eu part au côté industriel et au côté laboratoire de recherche universitaire, j'ai pu mesurer toute la richesse qu'il recelait au travers de ses acteurs et aussi toute la richesse que pouvait simultanément apporter l'accès aux autres laboratoires de l'ECL. Cette période fut pour moi une grande opportunité d'ouverture.

36Je reste persuadé de l'importance des liens que la recherche universitaire peut créer sous diverses formes avec l'industrie : il n'est rien de tel que de se connaître et de s'estimer pour avancer.

Notes

1 École Centrale de Lyon

2 Centre de Recherche en Machines Thermiques

3 Direction des Affaires Scientifiques et Techniques, devenue plus tard Direction de la Recherche

4 Peugeot Société Anonyme

5 Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques

6 Institut Français du Pétrole

7 Renault Véhicules Industriels

Pour citer ce document

Xavier Lys, «Chronique des années 1980 à  1984 au laboratoire de machines thermiques», Histoire de l'École Centrale de Lyon [En ligne], Mémoire de l'École Centrale de Lyon, Enseignement et Recherche en Sciences pour l'Ingénieur, mis à jour le : 02/12/2008, URL : http://156.18.19.153:443/index.php?id=537.